Résilience Alimentaire : retour sur la première journée parlementaire

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Jeudi 8 mars dernier, en ligne, avait lieu la Première Journée Parlementaire sur la Résilience Alimentaire. Près de 400 personnes étaient présentes au cours des 3h de tables rondes et autres prises de parole. La journée était sous le signe du passage à l’action. Saint-Cyr-l’Ecole en commun a eu le plaisir de suivre cette première édition dont on pourrait résumer les idées fortes en 10 points.

Avant de détailler ces points, revenons un instant sur le thème de cette journée et plus précisément sur la définition donnée par Maximilien Rouer, Président du CNRA (Conseil National pour la Résilience Alimentaire), au cours de cette journée de la résilience alimentaire territoriale : C’est la capacité des systèmes alimentaires à produire une alimentation adaptée, suffisante et accessible à tous même en temps de crise.

ACTION 1 : Penser démocratie alimentaire et relocalisation 

Le terme de Démocratie Alimentaire est assez récent, on peut le définir comme suit : la démocratie alimentaire interroge la manière dont le système alimentaire – production, distribution, consommation – répond ou non à des enjeux de justice sociale et environnementale. La majorité des interlocuteurs de cette journée ont exprimé l’importance pour le pouvoir public de se réinvestir dans ce sujet d’urgence, aujourd’hui les pouvoirs publics ayant très largement délégué la sécurité alimentaire des citoyennes et citoyens au secteur privé. Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’INRAE et active dans l’association RMT Alimentation Locale, insiste sur le fait qu’il faut « réduire les dépendances et reprendre la main sur les flux alimentaires à ce petit nombre d’acteurs privé qu’on ne connait pas et qu’on ne contrôle pas. La résilience c’est retisser des liens, des relations autour de l’alimentation et transformer le dialogue et la coopération au sein des territoires et entre les territoires ».

Stéphane Linou, auteur de « Résilience alimentaire et sécurité nationale » nous démontre ensuite que nous nous sommes volontairement mis dans une situation d’insécurité en allant vers la spécialisation des territoires. Les territoires sont autonomes en moyenne à 2% en termes d’alimentation aujourd’hui. Pour lui, « on a transformé nos territoires en EHPAD à ciel ouvert à cause des flux, perfusés par les approvisionnement extérieur ». Jérémy Camus, Président de la métropole de Lyon, explique que l’autonomie alimentaire du territoire est d’aujourd’hui moins de 5% (4,6%). Et en parallèle, 95% de ce qui est produit part dans d’autres territoires. Un des objectifs pour la métropole est de revaloriser le circuit agricole et faire en sorte qu’il bénéficie à son propre bassin d’alimentation. Lyon est aussi en train de retro-zoner des zones pour les redonner à l’agriculture.

ACTION 2 : Revaloriser le métier d’agriculteur et agricultrice

Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, met en avant la nécessité de travailler sur l’attractivité des métiers de l’agriculture. Il rappelle la qualité de l’agriculture française à taille humaine. En effet, la perception du métier d’agriculteur et d’agricultrice quant à la dureté physique et les conditions financières liées à une négociation trop forte des acteurs est particulièrement néfaste au renouvellement des professionnels du domaine. Aussi, comme le rappelait une réaction de Laure Gaillard dans le public « Il faut une ambition nationale, 50% des agriculteurs actuels vont prendre leur retraite d’ici 10 ans. C’est une transformation majeure qu’il faut engager pour la sécurité alimentaire nationale». Le renouvellement des générations d’agriculteurs et agricultrices est donc crucial pour continuer sur le chemin de la résilience alimentaire. Un non-renouvellement des personnes partant en retraite augmenterait drastiquement notre dépendance à l’importation. 

ACTION 3 : Créer une sécurité sociale d’alimentation

Aujourd’hui en France, 1 personne sur 6 est en situation d’obésité et 1 personne sur 10 fait appel à l’aide alimentaire. A titre d’exemple, les conditions d’accès à une alimentation de qualité et/ou dans la bonne quantité n’étant pas accessible pour près de 30% dans la métropole de Lyon. Un chiffre alarmant que nous communique Jérémy Camus, Vice-Président à la Métropole de Lyon, délégué à l’agriculture, à l’alimentation et à la résilience du territoire.

En parallèle, bien que vivement déconseillé pour la santé, la consommation de viande par habitant a augmenté de près de 50% en 50 ans. Nous sommes dans une « société d’abondance et d’ébriété énergétique » nous partage Stéphane Linou. Une bonne alimentation a un impact direct et positif sur la santé et pour cela nous devons continuer les efforts pour produire des aliments à forte qualité nutritionnelle : « des aliments riches en éléments nutritifs qui ne nuisent pas à la santé » d’après Anne Trombini, de l’association Pour une agriculture du vivant. Elle continue : « Quand vous êtes une entreprise de la grande distribution ou un groupe agroalimentaire vous n’avez pas pour mission de nourrir sainement la population en économisant les ressources (…) les structures économiques ne sont pas incitées par construction à agir dans le sens de l’intérêt général, donc l’intervention des collectivités publiques et de l’Etat est aujourd’hui insuffisante, et cette carence d’intervention (…) fait que le système alimentaire est aujourd’hui largement dysfonctionnel ».

L’idée de création d’une « Sécurité Sociale de l’Alimentation » est présentée ce jour en premier par Arthur Grimonpont, co-fondateur des Greniers d’Abondance, idée qui reviendra ensuite à plusieurs reprises au cours de cette journée parlementaire. Cette sécurité sociale de l’alimentation pourrait se baser sur un système de conventionnement permettant de créer aussi de nombreux débouchés pour les filières d’avenir comme les circuits locaux et d’agroécologie. 

ACTION 4 : Penser diversification et non spécialisation des territoires 

« Jusqu’aux années 1980 en France on produisait plus que ce dont on avait besoin pour nourrir notre population. Puis nous avons plongé dans l’exportation et importation massive jusqu’à inverser cette tendance » nous partage Bertrand Valiorgue, auteur de « Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène » .

La suite logique fut la spécialisation des territoires à des fins, entre autre, d’optimisation et de performance maximale. Cette spécialisation a ainsi diminué notre autonomie territoriale que l’on peut mesurer en nous rendant sur le site de l’outil CRATer présenté par Benjamin Cuillier, administrateur Les Greniers d’Abondance. On apprend ainsi que la ville de Saint-Cyr-l’Ecole produit 1 % de ses besoins, 2% pour Versailles Grand Parc et 16% à l’échelle des Yvelines. Yuna Chiffoleau nous dit qu’« il faut agir pour la diversification »

ACTION 5 : Réimporter les facteurs de production 

On parle souvent de dépendance et d’importation alimentaire mais beaucoup moins de notre dépendance liée aux facteurs de production eux-mêmes. Il était donc primordial que ce sujet soit traité ce jour. Les protéines (nourrir les animaux), le pétrole (transporter les marchandises, faire fonctionner les machines), les tracteurs, le phosphate (nourrir le sol appauvri) font partie de ces dépendances fortes à l’importation. Arthur Grimonpont nous explique qu’aujourd’hui notre agriculture française, du fait du manque d’autonomie locale, « ne tient que par une dépendance extrême aux transports et au pétrole avec en moyenne 30 000 camions qui sillonnent le pays chaque jour ». Julien Denormandie quant à lui met l’accent dès l’introduction de la journée sur notre dépendance forte à l’importation de protéines, principalement le soja, à des fins d’alimentation de nos élevages français.

En parallèle, l’étude rendue publique cette semaine par la WWF met en avant l’impact écologique d’une production de soja (entre autre chose) sur la déforestation des forêts primaires et impute ainsi 16% de cette déforestation à l’EU. Le plan protéines végétales du gouvernement (100 millions d’Euros) vise à réduire cette dépendance que l’on chiffre aujourd’hui à 50% et de ré-autonomiser les agriculteurs français pour l’alimentation de leurs animaux. 

ACTION 6 : Recréer de la sécurité alimentaire

Cette année, 1/10 des Français fait appel à l’aide alimentaire.
Arthur Grimonpont, cofondateur Les Greniers d’Abondance, nous alerte « On est en train de créer nos propres conditions d’insécurité alimentaire. ». Il nous rappelle qu’il fut une époque où l’on stockait le grain dans chaque village pour les périodes difficiles. Aussi, Stéphane Linou, auteur de « Résilience Alimentaire et Sécurité Nationale »,nous explique qu’au Moyen Âge, les consuls étaient jugés sur leur capacité à maintenir 4 sécurités à l’échelle d’une ville : 

  • la sécurité extérieure (se protéger des envahisseurs), 
  • la sécurité intérieure (protéger la population dans la ville d’autres citoyens), 
  • la sécurité sanitaire (lutter contre les maladies), 
  • ET, la sécurité alimentaire, aussi, la police des grains existait à l’époque. 

Il nous informe qu’aujourd’hui les supermarchés ont 2 jours de stocks et que nos populations ne sont plus préparées à des potentiels problèmes de sécurité alimentaire (cf : surréaction d’achat de pâtes et papier hygiénique pendant le premier confinement). Les politiques publiques sont complétement sorties de l’équation de ce sujet, laissant les entreprises privées gérer la sécurité alimentaire des citoyennes et citoyens.

ACTION 7 : Produire de la biomasse, veiller sur l’eau et la biodiversité 

« L’Homme fabrique des déserts » alors qu’ « on a en effet besoin de faire de l’agriculture régénératrice ou agroécologique » signifiant, qui va tendre vers l’auto fertilité. C’est un changement majeur, nous partage Anne Tromibini de Pour une Agriculture du Vivant.

Pour un Agriculture du Vivant a créé un outil l’Indice de régénération axé sur la production végétale aujourd’hui et animal sous peu. L’indice sera accessible librement et gratuitement à partir de mai sur leur site web.Pour Anne Trombini, il faut arrêter d’être sur une mesure du moyen (ex : mettre des moyens pour préserver les sols) et passer sur une mesure du résultat (ex : les sols sont-ils toujours fertiles ?). « En agriculture on ne protège pas la biodiversité, soit on la produit soit on la détruit » nous dit encore Anne.

Elle nous explique qu’il faudra suivre et faire progresser tous les sujets en même temps : 

  • S’assurer du stockage de carbone et de capturer les carbones de l’atmosphère et le stocker dans les sols.
  • Suivre l’usage de l’eau en fabriquant des agricultures qui maintiennent l’eau dans les sols.
  • Produire de la biodiversité. Une agriculture qui fasse venir et soit propice aux vers de terre, champignons (le début de la chaine trophique) et pas seulement les abeilles. 
  • Proposer aux citoyennes et citoyens des aliments à forte qualité nutritionnelle, des aliments riches en éléments nutritifs qui ne nuisent pas à la santé.
  • Revaloriser le métier et faire que les agriculteurs et agricultrices soient fier(e)s de leur métier.

« Nous allons devoir remiser les termes : d’exploiter, d’épuiser et de détruire ; pour promouvoir les notions de : régénération, de réparation et d’autonomie » nous dit la députée Yolaine De Courson.

ACTION 8 : Travailler sur l’agrégation et l’accès à des sources de données fiables 

« Nous avons fait le constat, dans nos travaux menés à l’INRAE, du manque criant de données fiables sur les systèmes alimentaires de proximité, sur les circuits courts, sur l’alimentation vendue localement» nous dit Grégori Akermann de l’INRAE.

Bien que de nombreux intervenants de cette journée nous ont rappelé qu’aucune solution miracle ne viendrait des nouvelles technologies pour restaurer la qualité de nos sols, autonomiser les territoires et être en somme plus résilients, la technologie à quand même un rôle clé à jouer dans l’aide à la prise de décision pour les territoires et les agriculteurs. Benjamin Cuillier, Administrateur des Greniers d’Abondances, a travaillé sur la création et la mise à disposition de l’outil CRATer présenté plus haut. Il nous explique l’importance pour les territoires de pouvoir évaluer leur propre système alimentaire, c’est ici grâce aux données récoltées et mises en image que les territoires peuvent plus facilement prendre des décisions. Cependant, aujourd’hui les flux alimentaires sont invisibles et les acteurs principaux travaillent dans la plus grande opacité, c’est donc un sujet sur lequel l’association travaille. 

Grégori Akermann travaillant sur le projet de l’Observatoire des Systèmes Alimentaires Territorialisés nous explique que leur but est d’agréger de multiples sources de données existantes pour appuyer l’activité des professionnels. Dans ce travail d’identification des sources de données fiables, lorsqu’une donnée fiable manque, l’équipe de l’INRAE identifie des partenaires puis les soutienne pour permettre l’agrégation des données. 

Grégori Akerman nous explique qu’ils ont besoin de l’aide des territoires pour libérer des données, aujourd’hui par exemple il n’existe aucune donnée fiable sur les marchés de plein vent (10000 points de ventes en France). Une des propositions de l’INRAE est que « Chaque commune pourrait avoir l’obligation de publier en open data, le nombre de marchés implantés sur son territoire, le nombre de producteurs en vente directe, le nombre de revendeurs pour chacun de ses marchés ».

A bon entendeur… 

ACTION 9 : Arrêter de négocier les tarifs des agriculteurs au minimum

Plusieurs intervenants sont revenus sur la négociation particulièrement inéquitable et injuste du prix négocié pour les agriculteurs et de le mettre en parallèle avec le fait qu’aujourd’hui en France, 25% des agriculteurs se trouvent sous le seuil de pauvreté, un chiffre qui nous accompagnera tout au long de cette journée.

Sébastien Pelka, CEO Direct-Market, nous explique que chez lui, le prix de base est construit sur le prix producteur non-négocié et prend en compte les aléas climatiques. « On veut être un moteur de la résilience alimentaire».  Pour Direct-Market, « c’est important que le producteur puisse vivre de son travail, c’est important que le commerçant puisse maintenir sa performance commerciale et c’est important que le consommateur ne paie pas plus ».

Florian Baralon, co-fondateur du Centre de Développement de l’Agroécologie, travaillant avec la métropole de Lyon sur le projet ARC (pour l’approvisionnement locale de la restauration collective), nous explique qu’un des trois piliers du projet est l’axe « filière » pour lequel il faut « définir un prix juste et rémunérateur pour les filières ». 

Et enfin, Olivier Tillous-Borde, Directeur des Développements Stratégiques du Groupe Euralis,nous partage qu’un des enjeux est la diversification des revenus des agriculteurs et agricultrices. Ceci par la diversification des productions, mais aussi par la production d’énergies renouvelables par exemple. D’autres revenus complémentaires pour les agriculteurs peuvent être le rôle de point relais pour large colis (>30kg) comme le propose la société Agrikolis que nous présente rapidement Jean-Baptiste Vervy de Cofarming.

ACTION 10 : Lâcher prise du passé, l’agriculture qui ose changer ! 

Il faut une « ruralité conquérante et inclusive» scande presque la députée Yolaine De Courson en nous parlant de cette nouvelle phase dans laquelle nous sommes entrés.On l’a entendu dans l’ensemble des interventions de ce jour, tout est en train de changer et « ce qui sera n’est plus que la continuité de ce qui a été» nous dit le député Eric Dombreval. Lui mais aussi André Bonnard, Olivier Tillous-Borde et Florian Baralon l’ont répété : il est primordial de coacher et soutenir les transitions des agriculteurs. D’après Arthur Grimonpont, il faut prévoir des aides pertinentes en rapport avec ce qu’on attend des agriculteurs concernant la transition locale et l’agriculture biologique. Bien qu’on produise aujourd’hui 3000 kcal par personne alors que le besoin est entre 1400 et 2000 pour un adulte « la plupart des efforts industriels et des aides distribuées aux agriculteursont pour effet d’accroitre la productivité et les rendements, mais produire plus ça ne répond à aucun des problèmes qu’on a évoqué plus tôt ».

Luc Servant, agriculteur français, nous rappelle que dans ce contexte de changement il faut avant tout apporter plus de clarté aux agriculteurs sur ce qu’on leur demande précisément. à l’entendre, il semble manquer une vision territoriale, nationale, européenne avec des objectifs et une direction claire. André Bonnard ajoute qu’il faut un coaching de proximité et de durée ainsi que de penser réversibilité pour les agriculteurs dans les cas où ça ne fonctionne pas et afin que les agriculteurs aient moins peur de s’engager.«  C’est bien ce contexte de nouveau régime climatique qui est en train de se mettre en place, qui percute directement la question de la résilience alimentaire, la question de la résilience agricole, c’est à dire de nos modèles agricoles, c’est à dire de notre capacité à dépasser ces chocs climatiques qui vont se mettre en place».

Bertrand Valiorgue nous dit encore que les secteurs les plus touchés seront le secteur agricole et alimentaire. Il nous rappelle les aléas climatiques que l’on vit ces dernières semaines (changements brusques de température) et l’impact que cela génère, comme de « l’incertitude radicale», les agriculteurs ne peuvent pas prévoir quand semer.

Pour finir…

Cette première journée Parlementaire pour la Résilience Alimentaire fut passionnante, les défis et enjeux territoriaux bien qu’immenses sont nécessaires d’être pris à bras le corps. Comme nous le rappelait Arthur Grimonpond « L’enjeu pour les années à venir ce n’est pas de produire plus mais c’est d’arriver à une production alimentaire suffisante et stable dans un contexte de dérèglement écologique et d’épuisement des ressources ».

Bien que les 10 actions citées ci-dessus sont complexes et peuvent être intimidantes, vous avez certainement lu dans cet article quelques exemples de sujets qui peuvent être traités en local, à l’échelle même de notre commune. Entre autre, nous avons pu voir que certaines des initiatives comme rendre la restauration collective plus locale nécessite des efforts importants au niveau d’une métropole mais c’est possible. Nous avons aussi pu voir que les données locales sur les commerçants, marchés, agriculteurs sont un frein à la progression territoriales et ici encore nous pouvons agir. 

Comme le disait Yann Arthus Bertrand dans le documentaire Legacy : « Agir rend heureux ». 

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